Arthur ou le petit prince d’Arménie

par | 29 Sep 2022 | Extraits, Livres

Préface de Véronique Lévy

Arthur, le petit prince d’Arménie, est un livre rare, virevoltant, émerveillé, pétri de la grâce fragile qui habite les songes et les royaumes engloutis d’un Paradis émergeant des eaux de la mémoire universelle, de la mémoire de l’Homme virginal, avant la chute, avant le temps… Ceux qui attendent un récit historique, politique, événementiel ou un plaidoyer pour la paix avec son tribunal, ses victimes, ses accusés, passez votre triste chemin. L’auteur ne tombe pas dans le piège réduisant lebchamp du premier crime contre l’humanité du XXe siècle, à une guerre de religion ; il ne traque pas les germes de l’extermination programmée de tout un peuple, dans l’ambition follement impérialiste du parti naissant des jeunes Turcs ; il ne relativise pas l’unicité de la barbarie génocidaire par l’énumération minutieuse d’un enchaînement tragique tour à tour de violations, d’expansion géopolitique, ou au contraire, de revendications d’autonomie.

Avec le héros de son roman, Antoine Verdier traverse les portes de l’Histoire : il met en scène une guerre métaphysique avançant ses armées au rythme d’une danse à trois temps : réaliste, allégorique fantastique et théologique. Cette dernière,
sans frontières, enveloppe les autres dans son panorama infini… Dessinant cet ouvrage au fil d’une épée à double tranchant de justice et de miséricorde, dévoilant le mystère du mal absolu,  vaincu déjà. Par la vie inviolée.

Malgré la précision et le réalisme de certains tableaux, malgré la passion et les larmes du martyre de ce premier peuple chrétien, à l ‘avant garde des siècles, posté en vigile des fins qui sont les dernières… Oui, malgré l’horreur de la traversée de la barbarie sans visage d’un génocide qui n’a pas été reconnu encore par ses bourreaux et par certains de ceux qui en burent la coupe empoisonnée deux décennies plus tard… Oui par delà la mort et la haine et la chanson du sang, par delà les visages défigurés où s’est perdu l’humanité toute entière… transperçant le voile hanté du cri de tous les innocents des génocides à venir qu’inaugura celui-là, déchirant la nuit blanche des martyrs qui ne dorment pas encore mais chantent en chœur de sainteté déjà, il y a la flèche du mémorial de Tsitsernakaberd, le fort aux hirondelles à Erevan, haute de quarante quatre mètres, s’élançant vers le ciel, s’envolant telle l’Espérance d’un peuple de veilleurs : gardiens de cette humanité qui reste fidèle à sa vocation d’amour, envers et contre tout… Et c’est comme le chant d’un oiseau sur la plus haute branche de l’arbre de la Vie, de l’arbre de la Croix : Amour qui a vaincu la mort !

Le héros, Arthur de la Madrière, journaliste parisien en herbe, a perdu ses parents, brutalement, dans un accident tragique. Il a vingt ans. Orphelin trop jeune, il part en Arménie comme reporter de guerre, il part sur les terres mystérieuses du premier royaume épousant la foi Chrétienne, dès 301… La Grande Arménie, s’étendait alors de la Méditerranée jusqu’à la mer Caspienne… Aujourd’hui, elle est unebzone tampon aux frontières orientales de l’Europe. Il y demeurera cent dix jours. Car, tel le passereau du psaume, Arthur y a trouvé son nid. Dans ce pays hanté par le génocide de 1915- 1923, le tremblement
de terre meurtrier de 1988, et déchiré par la toute dernière guerre avec la Turquie sur le territoire du Haut-Karabakh légué par Staline à l’Azerbaïdjan, le héros est accueilli par une famille aux myriades de visages verdoyants, transfigurés dans l’espérance.

L’Arménie berce en sa chair profanée, la mémoire vive des premiers pas du Christianisme… Elle y berce son Amen et son Alléluia. La liturgie Eucharistique date du quatrième siècle, inchangée, et en son Chœur de saints, et dans celui de ses martyrs, bat le Cœur originel, le Cœur du Christ… Transpercé, mais dans la joie éternelle de Sa Résurrection.

«Confetti», c’est ainsi qu’Arthur nomme l’Arménie… «Confetti »… petit mot enfantin, étonnamment ludique, scandaleusement festif, pour désigner cette terre baptisée du sang, des larmes, de la douleur des victimes du génocide et de ses survivants. Mais pour Arthur, cette terre ensemencée du sang de ses martyrs, est un royaume initiatique de bonté, de courage, et de foi épurée au fil du tragique : le Roi de ce royaume n’en a-t-Il-pas annoncé un Autre ; n’a-t-Il pas promis qu’Il appartiendra aux enfants et à ceux qui leur ressemblent ? Aux doux, aux humbles, aux artisans de paix, aux cœurs purs qui voient Dieu ?

Réjouissez vous, soyez dans l’allégresse car votre récompense sera grande dans les Cieux où brillent les visages que les Staline, Hitler ou d’autres monstres encore, voulurent défigurer ad aeternam en les privant de leur mémoire. Mais dans l’éternité, l’Amour Se souvient : le sourire des innocents esquisse l’Alliance de Dieu avec l’humanité enfin réconciliée. Et libérée du mal.

La Memoria Dei est infinie, plus profonde que les fondations de tous les lieux du souvenir.

Dieu Se souvient.

Eternellement, Il Se souvient.

Le petit prince d’Arménie s’appelle Arthur. Son prénom désigne sa mission. Le héros la porte en chevalier, s’élançant à la conquête d’un continent enchanté, baignant et enveloppant les frontières du réel, de l’espace et du temps… Temps suspendu où, transporté sur le mont Ararat, Arthur converse avec Noé et Abraham : les saints patriarches désignent le Jardin perdu d’avant la chute originelle ; ils lui dévoilent le sens de son appel, de son sacre prochain, et de son élection.

Dans ce livre inclassable, tourbillonnant de liberté, les mots tressent une tapisserie en triptyque où trois trames s’entrelacent, se croisent et se répondent dans l’éternel retour d’une danse du soleil.

Dans l’avion qui le transporte vers l’Arménie, Arthur est gracié du don surnaturel d’ubiquité : Il voyage à rebrousse temps ; traverse une à une ses cordes, dévoilant des ciels inconnus, des voûtes d’arcanes flamboyantes. Lové dans les plumes d’un aigle royal, à l’ombre de ses ailes, il surplombe les reliefs vertigineux des chaînes montagneuses s’effilochant à la voûte des chœurs nuageux scintillant comme une mer stellaire. Soudain, un nuage s’en détache, cœur immaculé… C’est la porte d’un royaume virginal de licornes, où l’aigle joue avec le lapin, l’agneau avec le loup, comme dans l’Arche de Noé et le livre du prophète Isaïe.

Arthur y entrevoit déjà l’allégorie d’une Cité Sainte, auréolant de sa clarté, les failles inhabitées des nôtres. Dans cette Cité, il n’y aura plus ni cris, ni larmes, ni guerre… mais la Paix : elle n’est pas du monde… mais le traverse déjà, de son désir
transfigurant le souvenir.

D’une Espérance irréductible. Au delà, la Vie Seule illumine.

Cette vie en plénitude, cet éveil du printemps, éclaire déjà le regard des personnages croisés au fil des pages, y levant une à une, les ombres hantées des orphelins qui ne veulent pas mourir une seconde fois, ensevelis dans le déni de leur mémoire par le silence complice ou lâche des nations soumises aux enjeux stratégiques de l’économie mondiale.

Tous ces Arméniens, à leur manière, rebâtissent l’Arménie, ses villes et ses villages, ses structures, sa joie infaillible. Les directeurs de start-up, les mécènes de la diaspora, les travailleurs humanitaires, les politiques, le directeur du mémorial d’Erevan, les responsables de l’éducation et de la culture, les religieux… Et, Irradiant d’espérance la solitude de ce peuple abandonné parfois par l’Occident, mais jamais tout à fait par la douce France,- elle qui, à travers ses députés, son président, ou ses ambassadeurs-, s’est rendu à son chevet, après la traversée de la guerre perdue du Haut-Karabakh… Oui, illuminant la longue nuit de cette guerre oubliée, se lève la jeunesse flamboyante, héroïque, germe d’un jour radicalement nouveau.

Enfin, couronnant le cœur de ce peuple en vagues de lumière, des saintes inconnues ensemencent d’amour ce qui fut dévasté. Sœur Arminé, directrice des projets de la Congrégation des sœurs de la Nativité fonde l’orphelinat à Gyumri, des écoles, des centres pour personnes âgées, le camp de vacances de Tzargadzor. Yéva, actrice et chanteuse, invente Aregak, le village du soleil, le royaume des enfants, des orphelins et des pauvres, ses écoles gratuites, ses jardins, ses jeux, ses bonbons
magiques. Elle en est la gardienne.

Faisant face à la barbarie, la féminité est rangée comme une armée en bataille.

Oui, les femmes, sentinelles de la mémoire, veillent aux postes frontières de la modernité : celle qui enfante, celle qui transmet… N’est-ce pas le sens même de la tradition ? Fécondant les terres stériles d’un Occident matérialiste déconnecté parfois de ses racines. L’Arménie est son berceau. Celui de son humanité.

Et «que serait l’Arménie sans ses femmes», s’exclame Arthur, émerveillé.

Véronique Lévy

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