J’étais dans un bar de nuit… Nuit blanche encore d’une attente indéfinie ; noire, d’une gestation silencieuse aux portes de la Foi… Nuit de désirs aux éclats fugaces…emportés juste après l’aube, aux aurores flamboyantes des soleils levants…Mais la nuit était lourde encore, et douloureuse, d’un amour inaccompli. C’est ainsi qu’elle est venue à ma rencontre ; la jeune fille anonyme un peu ivre me remit un papier froissé au cœur de ce bar de nuit de la Bastille. Elle me glissa ce papier froissé et sale éclaboussé d’alcool d’où émergeaient des mots incandescents, d’amour absolu, radical. Sans retour. Des mots d’enfants… simples et sans façon, diamants de foi brute : innocente jusqu’au seuil de la mort. La messagère disparut en titubant comme elle était venue. Seule demeurait cette lettre qui ne m’était pas adressée mais à un Autre… que je ne connaissais pas mais espérais aussi et Qui m’attendait. C’était au cœur de la nuit…
J’essayais de déchiffrer une signature au fil des mots effilochés de temps et de silence, au bas de ce papier froissé comme un cœur qui se donne traversant les siècles et pénétrant sa cible. C’était au plus profond de ma nuit… C’est là qu’elle est venue : Gemma… Gemma, comme un gemme précieux…Et on peut entendre « j’aime »… Oui « j’aime »… car c’est ainsi qu’elle apparut.
« Je suis celle qui aime l’Amour éternel ; je suis celle qui disparait alors qu’Il S’élève à l’orient de mon cœur. Je suis servante de Ce Royaume, lys au sérail de son Roi. Je suis l’enfant à la capeline noire, et dans mes yeux si pâles, le Ciel se contemple. Je berce les paroles de mon Roi ; elles ne sont qu’à moi mais je te les donne, aussi ; les voici : « Celui-là seul Le comprend, qui L’aime éperdument » disait de Jésus sainte Gemma. Et, à propos de l’amour qu’elle Lui portait : « C’est à moi ! Pas au monde. Pas aux saints. Pas même à l’Église. À moi ! » Mais elle me l’a donné. Comme un parfum d’Ailleurs. C’était au cœur de ma nuit. Dans ce bar qui n’était à personne et à tous… mon église de paumés, d’anges égarés où une autre Soif déjà unissait nos vies à la sienne.
Alors, je l’ai cherchée… aux réseaux virtuels, d’où émerge son visage. « Top modèle des saintes », disent certains… Moi je lui ai trouvé un air à la Rimbaud et au-delà, cette beauté rescapée de la chute, rescapée du péché, rescapée du cynisme, des tiédeurs, des compromis qui abiment : un visage sans ombre ni trouble car Lui Seul resplendit. Le visage de la reine des Anges, le visage de Marie. Il parait qu’à l’instant de sa mort, broyée par la tuberculose, les bras en croix, seule, abandonnée, Celui de Jésus Crucifié apparut sur son visage si pur. Elle qui tous les Jeudi Saints portait Ses stigmates comme d’autres leur couronne… Elle… cœur désuni de tous pour n’être qu’à Celui qui fut son tout. Et Qui enceint le monde. Et c’est ainsi qu’elle nous emporte aussi, par-delà la mort et en deçà du temps. C’est elle, l’orpheline de Lucca avec sa capeline d’écolière, son innocence, ses jeux d’enfants, qui incarnat l’Absolu de l’Amour le plus grand jusque dans son agonie, douloureuse et extatique. Ses derniers mots furent pour Lui. En leur Passion unis.
Que nous dit-elle aujourd’hui, cette sainte au visage enfantin, pour toujours suspendu à sa vingt-quatrième année ? Que nous murmure celle qui fut l’amoureuse, sans autre loi que sa Foi ; sans autre code que la Charité ; sans autre horizon que l’Espérance tendre et folle de rejoindre son Jour? Elle nous cherche au détour des systèmes verrouillés, quadrillés, étanches ; elle nous surprend à la lisière des chemins de traverse… Ces failles, ces déchirures, écartant la toile des algorithmes en réseaux de mort. Elle se rit des QR-codes et des parallèles ; des miroirs sans tain des enfers virtuels… Elle bouscule de son rire cristallin les régulations, les transactions, les contrôles des aiguilleurs du vice aux autoroutes où s’engouffrent les corps qui ne sont plus que fictions saccadées aux matrices uniformes… Sous le masque neutre des androïdes, le vide, l’absence. Le rien. L’Ange déchu fredonne le chant du transhumain. Trié à la racine.
Elle est une île, Gemma… Une île vierge suspendue entre le pontificat de Léon XIII et la crise de l’Eglise de son temps où le « modernisme » déjà n’est qu’archaïsme utile scellant l’horizon du sacré. Elle souffre en son corps la crucifixion de l’Amour par le relativisme et le positivisme d’un siècle où s’amorce déjà l’empire des robots aux mains d’hommes … propres comme un cadavre vernissé. Et aujourd’hui? Où est-elle ? Où demeure-elle ? Avec les herbes folles aux bords des chemins de la liberté. Elle est une zone de non droit dans l’enfer programmé ad vitam non aeternam… Elle est terre franche d’amour mais celui qui croit acheter son pardon ou sa joie, ne recueillera que mépris sans épines ni parfum. Car l’Amour est enfant d’un Royaume de Bohême où les petits et les derniers sont rois.
Gemma,
Âme qui nous cherche et c’est Lui, en toi, Qui murmure tel le vent âpre et nu des départs, des naissances :
Adam, où es-tu ?
Caïn, Sois le gardien de ton frère,
Outil de Charité. Eglise des pécheurs relevés de la poussière et de la mort, assis parmi les saints de la terre et du Ciel.
Le 27 juillet 2021Dans le train entre Lourdes et Paris.
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