La Force des martyrs

par | 29 Sep 2022 | Génie du Christianisme, Livres

Ma préface pour “La Force des martyrs”aux éditions Salvador paru en librairie aujourd’hui, en la fête de Saint Michel Archange!

Entendez-vous ces âmes s’élever en Chœur en communion avec toute l’Eglise, avec la très sainte Vierge Marie, les Anges et les Archanges… Entendez-vous leurs prénoms appelés au cœur de la Prière Eucharistique comme une bénédiction ? Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien, Laurent, Chrysogone, Jean et Paul, Côme et Damien… la litanie des pieux et preux martyrs escorte le saint Sacrifice de la Messe de leur sang. Echo d’un au-delà du temps, immémoriale ronde des bienheureux… Constellation venue d’ailleurs, des horizons éternels… Ignace, Alexandre, Marcellin et Pierre, Blandine, Félicité et Perpétue, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie et tous les saints… Le martyrologue tisse sa couronne de vierges, de pauvres et d’enfants, rois, mendiants ou chevaliers des chemins de traverse… Alléluia, alléluia. C’est la vraie fraternité qui a vaincu les crimes du monde : ils ont suivi le Christ et possèdent la Gloire du Royaume céleste. L’éclatante armée des martyrs chante vos louanges Seigneur. Alléluia !* Athlètes de la Charité, tous choisirent de perdre leur vie pour la sauver, saisie dans l’amour le plus nu dont l’autre nom est Vérité. Cet Amour transfigura leur mort, et par-delà encore pour la plonger au feu du fondeur, la purifier à la lessive du blanchisseur.

Car ils ont trempé leur robe dans le sang de l’Agneau et cette robe d’innocence est devenue tunique d’un baptême de Sang.

Une mystique Italienne, Maria Valtorta, âme victime dont le martyre silencieux s’écoulait, invisible, du creux de sa paralysie, reçut de Jésus-Christ la Grâce insigne de la vision de ces martyrs : quinze contemplations, retranscrites parmi toute son œuvre – surtout dans les Cahiers – sont enfin rassemblées au cœur de ce recueil, la force des martyrs. Le Seigneur lui révéla que toutes ces vies semées étaient oblations d’amour unies intimement à la Sienne ; que leur sang dispersé allumait tel un feu sur la terre, l’évangile de la Foi. Les saints innocents, Etienne, Phénicule, Pétronille, Irène, Flore, Justine, Valentin et tant d’autres noms, oubliés parfois, s’y entrelacent en un chapelet de lys tressés au Corps et au Sang du Christ : hosties immolées dans l’Hostie. Maria Valtorta les voit, les entend : aimer, vivre, souffrir et mourir. De cette mort extatique si violente ou si douce, insoutenable souvent dans le cri des bourreaux, l’éclat cru de la lame, le broiement des chairs et le parfum du sang. Le sang des martyrs féconda l’Eglise naissante et balbutiante… l’Eglise militante, souffrante et triomphante… L’escortant jusqu’à sa passion, jusqu’à la Croix, jusqu’à ce qu’Elle ne redevienne apparemment plus rien : presqu’île minuscule pour la fin, dernière arche quand tout semble perdu, radeau de la Grâce remontant le cours de l’Histoire Sainte au Souffle de l’Esprit. Sa voile immaculée est tissée du Oui de la Vierge où brille au cœur de la trame tel un fil d’allégresse et de pourpre, la joie pure des martyrs. « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement toute sorte de mal, à cause de Moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux. » (Mat 5 : 11,12)

Le martyr n’est pas une victime : La victime ne sait pas pourquoi elle souffre, vit et meurt. Elle se débat dans l’agonie. Son cri s’étrangle dans l’effroi. Elle se confond avec la mort. Le martyr lui, est saisi dans l’amour et s’unit à la Vie. Il est Son témoin le plus radical. C’est le sens étymologique du mot martyr. Et c’est en témoin de l’Eternel amour qu’il affronte, terrasse et traverse cette mort de sa foi. Par son baptême, sa chair vivifiée par l’Esprit ne meurt plus : elle porte en germe la liberté souveraine des enfants de Dieu ; cette liberté éprouvée par la lame, le feu ou l’abandon de tous, jaillit dans le oui d’une vie donnée sans retour à l’Epoux. Car le chant du martyr est un chant nuptial. Il berce en sa douleur atroce les blessures du monde transfigurées en stigmates d’amour. Et sa chair torturée les porte tel un sceau sur son cœur, le sceau d’une Alliance qui a vaincu la mort. Le martyr est prophète : il annonce le Royaume qui n’est pas de ce monde mais qui porte le monde. Il est prêtre : il dévoile l’éternité sur l’autel d’un amour qui transfigure la mort de sa foi. Il est roi : son cœur est blessé par les épines d’une couronne de douleur mais de Gloire. La couronne de l’Amour crucifié Qui crucifia la haine à Ses grands bras ouverts, celle de la Sagesse de Dieu Qui a brisé la folie de la mort. Car, « si nous avons été unis à Lui par une mort qui ressemble à la Sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la Sienne. (…)Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Lui.

Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur Lui.» ( Rm 6, 5-9)

Oui, le martyre désigne ce qui ne passera jamais : la Parole unique de Dieu Qui Se fit Chair dans la chair de Marie pour ensemencer la nôtre de Son éternité ; pour creuser au cœur de l’atome le plus anéanti, l’infini ; pour nous envisager visage à Visage par-delà l’horizon de la mort. Dans la danse Trinitaire. Le martyr est le témoin fidèle du Livre de l’Apocalypse de saint Jean, héraut extrême de la Révélation : celle de l’Amour qui triomphe de la rivalité mimétique ; celle de l’Amour qui triomphe de la « guerre de tous contre tous. » Le martyre est le signe éclatant d’une lumière démasquant la grimace d’un monde qui va vers sa ruine parce qu’il a choisi pour maître le néant. Pour idoles, les robots. Parce que les structures et les soubassements de ce monde sont cimentés par les clients de la mort au lieu des prêtres célébrant la vie, et que la modernité trop souvent sert l’archaïsme utile.

Le martyre méprise le simulacre de l’immortalité d’une chair désertée de son âme et spoliée de l’Esprit Qui l’anima, spoliée par les marchands du temple de nos corps. Il dévoile la violence et le mensonge d’une civilisation maintenant et célébrant la paix à l’ombre de la guerre ; une civilisation dont la figure de proue est le mirage transhumaniste imposant les lois implacables de l’empire digital et du crédit social. La liberté irréductible du martyr les menace : n’est-il pas l’accident d’un grain de sel qui ne s’affadit point, le risque d’un déraillement des circuits du Programme uniforme ? Scandaleux, il est le dissident veillant aux interstices des réseaux numériques. Posté aux failles de ses interfaces, il dévie les trajectoires parallèles, défie les algorithmes opaques de tous les paradis artificiels pour que par ces fêlures passe la lumière de la Vie. Il pirate le Système : du cœur de chair de son Humanité, cœur de chair où s’est inscrite, inviolable, la Loi d’amour qui ne passera jamais. N’est-il pas l’époux du Christ, Verbe de Dieu Qui donne sens et être à la matière la plus obscure ? Archer de l’infini, il vise l’éternité.

L’Eglise des derniers temps n’est plus cachée dans les ténèbres des catacombes. Ses apôtres et martyrs ne sont pas toujours exterminés dans les larmes, la terreur et le sang ; jetés dans les arènes barbares ; ou effacés, de mort lente et sociale. Ils sont l’écharde de vérité dans le déni du monde. Ils creusent la chair transfigurée déjà d’Eternité appelant chaque atome vers sa source, vers Le Livre de Vie descellé où nos noms sont inscrits dans les Cieux, à l’encre du Sang Glorieux de Jésus-Christ.

Et ils chantaient un cantique nouveau, en disant : « Tu es digne de prendre le Livre, et d’en ouvrir les sceaux ; car Tu as été immolé, et Tu as racheté pour Dieu par Ton sang des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute nation ». (Ap 5:9)

Je regardai, quand l’Agneau ouvrit un des sept sceaux, et j’entendis l’un des quatre êtres vivants qui disait comme d’une voix de tonnerre : « Viens ». (Ap 6 :1)

Oui, viens, Seigneur Jésus. Ton Jugement fera Miséricorde pour l’amour du sang humble et doux de tes très saints martyrs. Car ce n’est pas pour rire qu’ils T’ont aimé, comme Toi Tu nous as aimés jusqu’à la mort sur une Croix… afin que la mort, salaire du péché, y soit crucifiée à jamais…

Et qu’y vive Ta vie, et y demeure Ta joie, au cœur des nuits les plus irrémissibles.

Préface achevée en ce jour de la canonisation de Charles de Foucault

Le 15 mai 2022

*Note : Cet hymne était chanté au temps Pascal dans l’antique Liturgie du Missel romain, lors de la Messe sancti tui du commun des martyrs «

Pin It on Pinterest

Partager cette page

Partagez cette page avec vos amis !