Père Pierre-Marie

par | 29 Juil 2021 | Eglise, Extraits, Père Pierre-Marie Delfieux

Le corps de Pierre Marie est exposé dès le lendemain, dans le cercueil ouvert, sous le regard de la Vierge de la Chapelle de l’Adoration… Je m’inscris pour la première veillée nocturne… Le rendez-vous est à trois heures, au cœur de la nuit… le samedi vingt-trois février. Minuit… allongée sur mon lit, j’ai peur… pourtant… j’attends, presque impatiente, ce cœur à cœur, à l’ombre de la mort… je ne peux pas dormir… j’attends… deux heures. Je me lève… mon cœur s’est arrêté aux aiguilles de Ta montre… la petite morte électrique aux lèvres bleues, danse… aux rives abandonnée. La nuit s’est déchirée tant je te cherche… toi, le père aux paupières bleues, effacées dans l’outre temps… ton sourire s’effiloche… à l’horizon invisible… irradié en Sa miséricorde, plongé en Sa virginité.                        

.       Dehors, la neige a effacé la trace de tous les pas ; c’est un brouillard épais, aveugle… J’avance… difficilement, dans les rues désertes, dans cette opacité blanche. Il neigeait pour mon premier noël… mais aujourd’hui, cette traîne immaculée est un linceul. L’enfance abandonnée s’est refermée, engloutie, sous la glace… tes paroles, emmêlées aux filets de givre où tu dors… Pierre Marie…                 

.       J’arrive enfin devant l’église. La place Saint Gervais, apparait, livide, sous l’épaisse couche blafarde… blancheur insondable… silence, béance… l’absence, cachée, attend l’aurore… Le vent se  lève, me saisit à la gorge. Les flocons tourbillonnent, le clocher se dresse pathétique, sentinelle inutile… la nuit indifférente m’avale… blessée et vide. Alors je cours, je cours vers toi qui m’as bénie, je cogne de toutes mes forces à la lourde porte close… je suis en avance… le veilleur de l’heure précédente m’ouvre, les yeux rougis, brusquement réveillé peut-être ; il me conduit au seuil de la chapelle ardente et s’en va… je suis seule, je m’avance et j’embrasse ton front, une dernière fois. La flamme du cierge pascal s’élève dans la nuit… elle éclaire faiblement la chapelle… tu es revêtu de ta robe enneigée de moine… les croix brodées de fil rouge, sur tes reins, tracent l’axe de ta vie. Les sandales aux pieds… tu pars… Sur le chemin où tu vas, je ne peux plus te suivre… ton chapelet se tresse amoureusement à  tes doigts, chaque perle est une alliance… tu parais dormir… quel est ce Souffle invisible qui tremble encore en toi ? Tu ressembles à un jeune marié… L’attends-tu, T’a-t-Il déjà saisi ? Dans Son Royaume… dans Son Cœur…là où tu es… je ne peux pas encore te suivre. En cette nuit blanche, en cette chapelle ardente, je veille… tout près de toi… je berce en mon cœur, tes mots, le son de ta voix, sa téciture. La liturgie pour toi était une fête…une montée vers Son Visage, un embrassement. L’amour au zénith, l’Eucharistie… fulgurance de l’Eternité dans l’instant, percée du Soleil Eternel de la Jérusalem céleste. Les moines et les moniales scintillent, couronne de flammes blanches aux rayons bleus. Leurs voix de cristal soulèvent le sable des déserts, embrasent l’aurore enveloppant l’Epoux, sillonnent l’azur d’une mer absolue. Euphorie éthérique, la communion des saints… cette nuit, en cette veillée, je fixe ton visage… une dernière fois. Il file… s’écoulant… à l’outremer… le retenir…  enclos… au plus profond de moi. J’entends ta voix… elle remonte du silence éperdu, dans cette chapelle, dérivant dans la nuit…                                                                             

– Tu as répondu à l’appel brûlant du Seigneur… « Véronique de Jésus… »                                                                                                            

Tu avais deviné… Cette parole pêcha l’innocence noyée derrière les masques. Devant toi j’étais belle, j’étais nue… en ma naissance, vierge en ce Jardin de Dieu que tu m’ouvris… Tes mots… la clef. Ils m’ont rebrodée, tissée en transparence, enfance perdue et recueillie, sauvée, princesse en la Beauté de Dieu. Dans un éclair Il m’a aimée… en toi : nue, blessée, en ruines. Tu as posé sur moi ton regard comme un manteau de fête… tu m’as bénie, tu m’as regardée, et moi j’ai répondu :

– Je viens à toi et au-delà de toi à Celui qui m’appelle… par toi, je reconnais Sa voix… et mon désir de Lui se lève en ma résurrection, par toi…Pierre… le roc où je me pose… Marie… le sein où je m’abrite… l’Eglise…où je suis née.

Extrait de montre-moi ton visage ; editions du Cerf

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